Le cumul d’emploi en tant qu’agent public, acte I

Historique

Avant 2007, la réglementation, malgré quelques difficultés d’interprétation à la marge, était relativement claire : interdiction pour tous les fonctionnaires (sauf les enseignants) de toute activité rémunérée, quelques exceptions, dont la création d’œuvres de l’esprit.

En 2007, Jacques Chirac est au pouvoir, Dominique de Villepin premier ministre, l’UMP majoritaire au Parlement. L’idée est d’autoriser le cumul d’emplois aux fonctionnaires, entre autres plus ou moins pour compenser l’absence de revalorisation salariale. Le décret d’application de la loi est signé le 2 mai 2007, jour de l’élection présidentielle qui porte Nicolas Sarkozy au pouvoir. Les choses se compliquent quelque peu : l’idée était alors d’étendre peu à peu les situations de cumul. Conséquence : en 2011, nouveau décret qui modifie, et étend (légèrement) le champ d’application du cumul. Entre-temps, une circulaire est venu préciser préciser les conditions du cumul d’activités : la circulaire n° 2157 du 11 mars 2008.

En 2016, le pouvoir politique a changé : François Hollande est président, Manuel Valls premier ministre. Comme souvent, la législation change : le 20 avril 2016, loi, puis le 27 janvier 2017, décret d’application. Pour l’instant, le nouveau pouvoir politique semble s’inscrire dans la continuité de son prédécesseur.

Pourquoi la situation est-elle un peu complexe ?

C’est assez simple : comme dans d’autres domaines, l’administration ne parvient pas, tout du moins à ce jour, à suivre l’évolution de la législation. De 2007 à 2017, soit en dix ans, j’ai compté quatre législations différentes, et encore, en négligeant les périodes pendant lesquelles les lois existaient sans décret d’application ou sans circulaire. De plus, l’administration établit également sa doctrine en fonction des décisions judiciaires en la matière. Or, un contentieux entre l’administration et un de ces agents, lorsque tous les recours sont exercés, dure souvent une vingtaine d’années jusqu’à une décision du Conseil d’état : l’administration ne dispose donc que de peu de recul, ne serait-ce que sur la réglementation de 2007. Alors, 2017…

Quoi qu’il en soit, nous nous retrouvons avec une situation profondément singulière : la circulaire de 2008 n’a pas été abrogée et reste la seule en la matière. Cependant, la loi a changé. Nous nous retrouvons donc schématiquement à interpréter une loi Hollande avec une circulaire Sarkozy.

Enfin, bien entendu, lorsque la législation est complexe, la question de sa portée pratique se pose.

Le grand principe

C’est l’interdiction du cumul d’emploi : un agent public doit consacrer l’intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées dans le cadre de son emploi public. La loi de 2016 semblait vouloir y revenir. Mais ce serait trop simple : la législation foisonne en effet et comporte de nombreuses exceptions : en fin de compte, il est bien difficile de savoir si le champ d’application a été restreint ou étendu, sans même parler des considérations pratiques, auxquelles nous reviendrons.

La gestion de son patrimoine privé

Cela peut paraître simple dans un premier temps : un fonctionnaire a le droit de gérer son patrimoine privé. Ce n’est pas parce que vous êtes fonctionnaire que vous ne pouvez pas placer votre argent. Vous pouvez aussi louer un appartement que vous possédez, ou acquérir des actions ou des parts sociales dans une entreprise.

Mais cela se complique rapidement. La réglementation interdit en effet à tout fonctionnaire exerçant à temps complet et à temps plein toute activité qui entraîne : immatriculation au registre de commerce, immatriculation au répertoire des métiers, immatriculation au régime social des indépendants. Louer un ou plusieurs logements en meublé (voire une salle de réception) peut par exemple entraîner une immatriculation au régime social des indépendants (à ce jour, au-dessus de 23 000 euros de recettes) ou, selon le cas, au registre de commerce. Réaliser des opérations de bourse peut également, selon les cas, certes exceptionnels, avoir les mêmes conséquences.

Supposons que vous possédiez de vieux livres et que vous souhaitiez les numériser afin de les publier en ligne, moyennant finances : en principe, vous devez vous immatriculer au régime social des indépendants, donc c’est interdit.

Les agents à temps incomplet

Il ne s’agit pas des agents à temps partiel, qui sont embauchés sur un emploi à temps plein mais demandent à exercer à temps partiel, mais des agents embauchés à temps incomplet, c’est-à-dire sur un emploi à 70 % par exemple. La distinction est subtile mais importante.

Un agent à temps incomplet à 70 % ou moins peut cumuler sur simple déclaration.

Un agent qui travaille à temps partiel à 70 % ne peut pas, sauf exceptions, cumuler. Il faudra cependant consacrer un paragraphe complet à la situation des agents à temps partiel, sur laquelle les juristes pourront faire la preuve de leur sagacité.

Le bénévolat

La circulaire du 11 mars 2008 vient préciser cette notion et lui donne une définition très large : le bénévolat, y compris pour des entreprises commerciales, relève de la vie privée de l’agent, donc cumul autorisé.

Limites : pas d’organes de direction, pas de participation aux litiges contre l’administration, pas d’intérêt avec des entreprises avec lesquelles l’agent est en relation.

La numérisation de vieux livres mentionnée plus haut est donc autorisée à titre gratuit. Ce blog, bénévole, sous réserve de sa conformité aux autres obligations des agents publics, est autorisé.

C’est suffisant pour aujourd’hui, la suite suivra dès que possible.

Robin Plancque